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Cote | Localisation | Statut |
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R GEN | Les Romans Plus de détails sur cet exemplaire Code-barres: 0776644577 |
Auteur | Jean Genet |
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Titre | Miracle de la rose / Jean Genet. |
Editeur | Paris : Gallimard, 2002. |
Collection | Folio ; 887 |
Description | 372 p. : couv. ill. ; 18 cm |
Langue | Français. |
Centre d'intérêts | Roman adulte |
Catégorie | Roman adulte |
Support | Livre |
Médias
Jean Genet (Paris, - id., ) est un écrivain, poète et auteur dramatique français. Par une écriture raffinée et riche, Jean Genet exalte la perversion, le mal, l'homosexualité et l'érotisme, à travers la célébration de personnages ambivalents au sein de mondes interlopes.
Né de père inconnu (son nom était Frédéric Blanc selon les archives de l'Assistance publique), Jean Genet est abandonné à sept mois par sa mère, Camille Gabrielle Genet (1888- 1919), gouvernante ou femme de chambre[1]. Pupille de l'Assistance Publique, le jeune Jean Genet est envoyé dans une famille nourricière du Morvan (la famille Régnier, petits artisans du village d'Alligny-en-Morvan). Cette région, véritable « laiterie » de la France au début du XXe siècle, regroupe alors une grande proportion des familles mandatées par l'Assistance publique pour recueillir et élever les enfants abandonnés de la IIIe République[2].
La famille adoptive de Genet lui offre l’éducation communale, une vache à lait douce et aimante, un environnement protégé. L’enfant y est heureux, bon élève et enfant de chœur, mais réservé et taciturne. De cette époque remontent les premiers émois masculins de Genet, en la personne du petit Lou Culafroy — qui deviendra plus tard « Divine », héros et ensuite héroïne de Notre-Dame-des-Fleurs — ainsi que d’hommes plus âgés, braconniers de passage ou marginaux égarés[3]. Il obtient la meilleure note de sa commune au certificat d'études primaires.
Il commet son premier vol à l'âge de dix ans. C'est l'acte fondateur de la mythologie de Genet qui, fustigé pour son acte, donne un change très existentialiste en sanctifiant son geste, revendiquant ainsi une asocialité profonde. En octobre 1924, l'Assistance publique le sépare d'office de sa famille d'adoption et l'envoie dans l'École d'Alembert, centre d'apprentissage en Seine et Marne, pour suivre une formation d'ouvrier typographe dans l'imprimerie. Se sentant une vocation d'artiste, il en fugue le 3 novembre. Arrêté pour vagabondage, il enchaîne fugues sur fugues. En 1926, il est envoyé à La Paternelle ou colonie pénitentiaire agricole de Mettray, où se cristallisent probablement ses tentations homosexuelles ainsi que toute la liturgie de domination/soumission, la hiérarchie masculine et virile et la féodalité brutale qui en découlent à ses yeux[4].
Il quitte les lieux à dix-huit ans et, devançant l'appel, s'engage pour deux ans dans la Légion étrangère. Il découvre pour la première fois l'Afrique du Nord et le Proche-Orient, qui lui font très forte impression par les passions qui y règnent, le charisme mâle et volontaire de ses habitants. Revenu à Paris, vivant de petits larcins (dont le vol de livres), Genet passe presque quatre ans dans des prisons pour adultes, pour l'essentiel à la Santé et à la maison d'arrêt de Fresnes[5].
Il y écrit ses premiers poèmes et quelques ébauches de roman, sans cesse reprises, refondues, rejetées. Genet est un perfectionniste, un éternel insatisfait, un obsédé de la beauté du mot[6]. Lui qui sacralise le geste, la signification de l'acte, n'admet la viabilité du verbe que lorsqu'il est beau, puissant, racé.
Ses premiers romans, écrits en prison, paraissent aux Éditions de L’arbalète ou « aux dépens d’un amateur» chez Paul Morihien, qui outre le fait d'être le secrétaire de Jean Cocteau, possédait une librairie-galerie rue du Beaujolais à Paris près du Palais-Royal. Ces premiers romans jugés pornographiques sont censurés et se distribuent sous le manteau.
Notre-Dame-des-Fleurs (1943) raconte la vie d’un travesti, surnommé Divine, avec son passé de petit garçon du nom de Louis Culafroy. Et puis il y a son mac, Mignon-les-Petits-Pieds et son colocataire, un Africain nommé Seck, Et puis Notre-Dame-des-Fleurs, un jeune assassin de 16 ans à la beauté fulgurante. On découvre le monde de ces « tantes », de ces hommes-femmes des nuits de Montmartre. Genet évoque les créatures ambiguës de la nuit homosexuelle parisienne du Paris d'avant-guerre — il s'agit probablement du premier roman mettant en scène les aventures d'un travesti. Le roman commence ainsi, disant la gloire des assassins à la beauté fulgurante :
« Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour », écrit Genet dans un de ses poèmes[7].
Le Miracle de la rose (1946) évoque les années d’enfermement de Genet, à l'âge de seize ans, à la Colonie pénitentiaire de Mettray, « à l'endroit le plus beau de la plus belle Touraine », et ses années de prison ensuite. Le narrateur décrit ses plus profonds et premiers amours avec Bulkaen ou Divers. Il raconte les correspondances secrètes des détenus de la Colonie Pénitentiaire avec les prisonniers de la Centrale de Fontevrault où ils vont se retrouver adultes et où Harcamone, auréolé de sa condamnation à mort, est le centre de tous les regards et le héros du « miracle de la Rose ». C’est un document implacable sur les bagnes d'enfants et le roman de ces adolescents violents et passionnés, condamnés à vivre enfermés dans un univers clos et féroce.
Querelle de Brest (1947) met en scène le matelot Querelle, son frère Robert, qui est l'amant de Madame Lysiane, patronne de La Féria, bordel célèbre du port de Brest, Nono son mari, le tenancier de ce bordel, l'inspecteur Mario à la personnalité trouble, le lieutenant Seblon dont Querelle est l’ordonnance et qui l'aime en secret, le petit Gil Turko, jeune meurtrier en cavale. Tous les protagonistes du drame naissent pour Jean Genet du brouillard de Brest, du soleil qui dore faiblement ses façades, et de la mer semblable au mouvement intérieur très singulier qui anime l'écrivain.
L’action principale suit Querelle qui se livre à un trafic de drogue, assassine son ami Vic, « se fait mettre » par Nono après un jeu de dés truqué. Des retours en arrière évoquent les précédents meurtres de Querelle, et surtout le premier meurtre, celui du « pédé arménien », Joachim, qui le nomme « mon bel étoilé ».
Pompes funèbres (1948), est le roman qui prête le plus à malentendus. Les héros : Jean Decarnin, le résistant assassiné par la milice, Riton, petit gars de Paris, Erik le tankiste, Hitler lui-même décrit comme « sodomite et castré », ne sont pas des figures réalistes, mais des figures héraldiques, des êtres poétiques. Il y propose aussi une vision homo-érotisée d'Hitler, ainsi qu'un regard trouble sur les rapports qu'entretiennent la violence nazie et l'attirance sexuelle. Il adopte en partie le point de vue de la Milice et décrit la fascination de celle-ci pour le culte du corps et la mise en scène de la virilité développés par le nazisme :
Cela ne fait pas pour autant de Jean Genet un thuriféraire du régime nazi ou de la collaboration, ce que certains lecteurs pensent. Pour d’autres interprètes ce texte est écrit par Jean Genet afin de raconter à sa façon un travail de deuil : Jean Decarnin, son ami, résistant communiste, vient d'être assassiné par un milicien.
Pompes funèbres s'ouvre sur la mort et l'enterrement de Decarnin. Genet se réfugie ensuite dans un cinéma où des actualités montrent l'arrestation d'un jeune milicien sur les toits de Paris. Il ne peut alors ni faire le deuil de son ami, ni accepter la vindicte selon lui hypocrite des bourgeois contre les miliciens. Il décide donc d'écrire un livre du point de vue de ce « petit gars » qu’il imagine avoir tué son ami. Provocateur et scandaleux, il cherche à déclencher chez le lecteur, après la guerre, une prise de conscience extrême de l'extraordinaire séduction du mal.
Genet magnifie les nazis, non parce qu’ils indiqueraient la voie du bien ou du vrai, mais au contraire parce qu’ils incarnent le crime, la terreur, la destruction, autrement dit le mal à l’état pur, qui se concrétise dans le meurtre gratuit d’un enfant par Erik le tankiste allemand.
Le Journal du voleur (1949) n’est pas selon Sartre une simple autobiographie, mais « une cosmogonie sacrée ». Le livre décrit les errances du narrateur hors de France. Âgé de trente-cinq ans, le narrateur, Jean, évoque sa vie de 1932 à 1940. Il raconte son existence de misère en Espagne, dans le quartier interlope du Barrio Chino à Barcelone, où il partage les mœurs de la vermine avec Salvador, son amant crasseux, qu’il délaisse ensuite pour Stilitano, le manchot magnifique, maquereau et traître. Abandonné par ce dernier, le narrateur raconte son dénuement sur les routes andalouses. Il fait part de ses pérégrinations en France, en Italie et à travers l’Europe d’avant-guerre.
Genet écrit : « La trahison, le vol et l'homosexualité sont les sujets essentiels de ce livre. Un Rapport existe entre eux, sinon apparent toujours, du moins me semblerait-il reconnaître une sorte d'échange vasculaire entre mon goût pour la trahison, le vol et mes amours. »
Notons que ces premiers romans ont été publiés à nouveau par les Éditions Gallimard dans les Œuvres complètes, mais en version largement révisée, voire censurée, ce qui est à interroger. Il semblerait que Genet lui-même ait participé à ces révisions et censures dont beaucoup sont jugées regrettables et altèrent même le sens du texte, comme la suppression du meurtre du « pédé arménien » dans Querelle de Brest[9].
Cocteau découvre les premières œuvres de Genet et Sartre après lui. Ils encensent ce mauvais garçon de la scène littéraire française et le considèrent comme le génie de leur temps. Cocteau le sauve de la prison à perpétuité (à la troisième condamnation, quel que soit le motif de cette condamnation, le criminel risquait la relégation au bagne, à perpétuité).
Cocteau et Sartre voient en lui un moraliste alors que Mauriac se contente de le qualifier d'« excrémentiel ». En montrant à la société le spectacle de sa propre fange, Genet accule le bourgeois dont l'ordre est régi par une violence normée (la peine de mort en étant le point culminant) : il voit dans la défaite de 1940 une occasion d'inverser les termes de cette violence, de faire du bourreau une victime méprisable.
Sartre, qui a d’interminables entretiens avec Genet, écrit ce qui devait être d’abord une préface à ses Œuvres complètes publiées chez Gallimard, et qui en devient l’énorme premier tome sous le titre : Saint Genet, comédien et martyr, somptueux autant qu’assommant selon les commentateurs. Cette étude occupe certes une place indue dans ces Œuvres complètes, avec en seconde de couverture la liste des œuvres de Sartre, comme si Sartre s’était glissé vampiriquement dans la peau de Genet. Sartre en fait l'« exemplum » de sa philosophie existentialiste. Au cœur de l'analyse de Sartre, le « caïnisme » de Genet, son identification au Caïn rebelle et meurtrier des Écritures.
Ce livre déprimera profondément Genet et l'empêchera d'écrire, selon ses propres dires, pendant près de dix ans, tant sa « mécanique cérébrale y était décortiquée »[10], ce qui est partiellement inexact[11].
Genet, au faîte de sa gloire parisienne, fréquente Sartre, Simone de Beauvoir, Alberto Giacometti, Henri Matisse, Brassaï. Il entame une carrière de dramaturge ; précédées par sa réputation et son odeur de scandale, ses pièces, montées par les plus grands metteurs en scène, sont des succès. Ainsi, Roger Blin monte Les Nègres puis Les Paravents qui jouée au début des années 1960, prend violemment position contre le colonialisme français et prend fait et cause pour les indépendances, alors même que la France est en pleine guerre d'Algérie.
Le propos de Genet se fait de plus en plus engagé. Il élève la voix contre la tyrannie blanche, la domination occidentale, l'état déplorable dans lequel la France abandonne ses anciennes colonies. Il se lance dans la rédaction d'un journal intitulé Le Captif amoureux, publié en 1986, quelques mois après sa mort.
Dans le même temps, le suicide de son compagnon, Abdallah Bentaga (qui lui a notamment inspiré le poème Le Funambule), ainsi que sa toxicomanie aux barbituriques, mettent à mal son mode de vie d'errance. Genet, jusqu'à la fin, vit dans des chambres d'hôtel sordides, souvent près des gares, ne voyageant qu'avec une petite valise remplie de lettres de ses amis et de manuscrits.
Le 15 avril 1986, seul et rongé par un cancer de la gorge, l'écrivain fait une mauvaise chute la nuit dans la chambre 205 du Jack's Hôtel au no 19 de l'avenue Stéphen-Pichon à Paris et meurt[12].
Il est enterré au vieux cimetière espagnol de Larache au Maroc, au bord de la mer[13].
Genet s'est consacré à des combats politiques. Il dénonce l'hypocrisie de la bourgeoisie française, participe à différents mouvements pointant la politique carcérale française, avec Michel Foucault et le Groupe d'information sur les prisons, et pour l'abolition des Quartier de haute sécurité. Il critique avec violence la politique coloniale, et prend aussi position sur le devant de la scène internationale. Ainsi, alors qu'on lui demande d'écrire une préface aux lettres de George Jackson (prisonnier noir, fondateur des Black Panthers), il décide de partir aux États-Unis afin de rencontrer ces mêmes Black Panthers et de prendre publiquement position pour eux. Bien qu'interdit de séjour aux États-Unis, il y séjournera plusieurs mois. De même, il prend position pour les Palestiniens, rencontrant entre autres Yasser Arafat et Leïla Shahid. En septembre 1982, il est le premier Européen à pénétrer dans Chatila, après les massacres. Il en tire un texte politique majeur Quatre heures à Chatila[14].
Après deux séjours de plusieurs mois en Palestine, il se lance dans la rédaction d'un journal intitulé Un captif amoureux, qui sera publié quelques mois après sa mort. Prenant la défense des Palestiniens, il demeure néanmoins lucide sur les intérêts croisés de l'Occident, mais aussi de l'URSS ou des pays arabes quant au maintien d'une guerre symbole dans cette région du monde. Ces propos antisionistes prennent par deux fois une coloration antisémite, qui, pour Sartre, est plus une posture qu'une réalité effective.
Si, dans les années soixante-dix et quatre-vingt, ces propos sont considérés comme participant d'une guerre idéologique qui scinde l'extrême-gauche française entre pro-sionistes et anti-sionistes, ils ont été réanalysés par Éric Marty dans deux ouvrages qui, pour les uns, révèlent enfin la vérité sur cet auteur complexe et, pour les autres, participent d'un gauchissement et d'une distorsion générale de ces textes, au mépris de la réalité littéraire et biographique. En revanche, il est exact que Genet publia régulièrement des articles et tribunes — réunis chez Gallimard sous le titre de L'Ennemi déclaré — qui sont presque toujours de véritables brûlots.
Il y soutient entre autres, dans « Violence et brutalité », le terrorisme et la Fraction armée rouge. Cet article, qui parut le 2 septembre 1977 dans les pages « points de vue » du journal Le Monde, provoqua un tollé général. Michel Foucault seul défendit la position de Genet[15], évoquant l'action du G.I.P. : « Notre action... cherche à effacer cette frontière profonde entre l'innocence et la culpabilité. C'est la question que posait Genet à propos de la mort du juge de Soledad ou de cet avion détourné par les Palestiniens en Jordanie ; les journaux pleuraient sur le juge et sur ces malheureux touristes séquestrés en plein désert sans raison apparente ; Genet, lui, disait : "Un juge serait-il innocent, et une dame américaine qui a assez d'argent pour faire du tourisme de cette manière là ?” ». Genet renversait toujours les points de vue, mettant sans cesse le lecteur à la question.
Finalement, sa défense de l'homosexualité, sa dénonciation des prisons, son soutien général aux mouvements anticolonialistes, son séjour aux États-Unis pour défendre les Black Panthers ou son double séjour en Palestine font de Genet le saint défenseur des opprimés pour les uns, et pour les autres un savant manipulateur de ces mêmes opprimés qu’il ne défendrait que par détestation de leurs prétendus « oppresseurs ». Cette ambigüité n’aurait sans doute pas déplu à Genet, qui assumait difficilement le rôle de tribun des déshérités.
Ce scandale-là n’a que peu à voir avec son œuvre : Les Nègres fut écrit douze ans avant son engagement pour les Black Panthers, et Un captif amoureux, ouvrage posthume traitant frontalement de politique, est d’une densité et d’une complexité telles qu’il est difficile de croire que ce captif soit très amoureux des idéologies politiques ou religieuses qui sous-tendent ces causes. Surtout, ce scandale est par trop temporel : il apparaît alors que Genet a écrit ses grands textes, après que Cocteau l’a découvert, après que Sartre lui a consacré une biographie. Enfin, ce parfum de scandale politique se dissipe déjà : les pièces de Genet sont parmi les plus jouées du répertoire français, et cela fait longtemps qu’elles n’attirent plus les foudres du public ou d'un quelconque censeur idéologique.
Cette polémique a toujours été active. Selon Cocteau et Sartre, ce serait sous la forme d’un renversement des valeurs bourgeoises qu'il faudrait lire ces lignes sur l'Allemagne nazie :
Par ailleurs, Pompes funèbres est une analyse des fantasmes morbides qu'engendre l'ensemble des appareillages militaires, avec un démontage complexe de ces fantasmes[18], la Milice et le vocabulaire érotisant des collaborateurs.
Certains de ses critiques, dont Éric Marty, condamnent toujours son nazisme et son antisémitisme.
Mais Albert Dichy s’oppose à ces interprétations. Il évoque ainsi sa rencontre au Liban avec Genet en 1970 : « Genet m’a posé des questions. Donc il voulait savoir comment on vivait au Liban, pourquoi est-ce que je parlais français, il était très étonné, il m’a demandé : « Vous êtes chrétien, musulman ? ». J’ai dit : « Non, je suis juif… », alors il a été absolument stupéfait, il m’a dit : « Mais enfin je ne comprends pas, qu’est-ce que vous faites là ? Vous avez une armée superbe de l’autre côté ! Vous devez les rejoindre, vous brouillez tout, on ne comprend plus rien ! ». J’ai compris par la suite que Genet aimait beaucoup se déplacer, lui, sur les cases de l’échiquier, mais il n’aimait pas trop que les cases bougent. »[19].
Éric Marty affirme qu’il y aurait chez Genet une angoisse du Bien, une angoisse à l’égard du Bien : « Si Genet est antisémite […] c'est tout simplement parce qu'aux yeux de Genet le juif est le Bien, parce qu'il est le Bien absolu et que l'antisémitisme de Genet est une angoisse du Bien, une angoisse à l'égard du Bien ». Marty s’appuie sur Kierkegaard et son Concept d'angoisse pour développer sa thèse et aussi sur les analyses de Sartre[20].
Albert Dichy répond à Éric Marty[21] : « Il s'agit, il faut bien le dire, d'un texte[Lequel ?] d'une rare violence. Mais, après tout, l'œuvre de Genet parle pour lui, il est naturel qu'elle puisse également parler contre lui. Eric Marty instruit donc très méticuleusement un procès de ce qu'il nomme la “métaphysique” de Genet et qui reposerait sur un antisémitisme forcené, une sexualité relevant de “Sodome”, une fascination pour Hitler, la Milice et, de façon plus générale, pour “l'hyperpuissance”. Ce procès se conclut évidemment par une condamnation sans équivoque et par la disqualification du témoignage de Genet sur les Palestiniens — qui est visiblement l'un des principaux enjeux de ce texte ».
René de Ceccatty a également marqué les limites de l'analyse d'Éric Marty, reprenant les citations de Genet par Marty, et montrant comment la pensée de Jean Genet est, à ses yeux, caricaturée. Et de conclure : « Pourquoi traquer un prétendu antisémitisme et une prétendue sympathie pronazie dans des textes qui n'ont jamais été écrits pour accabler un peuple et l'exterminer, mais qui dénoncent au contraire la délation généralisée d'une nation sous l'occupation allemande et qui, en ce qui concerne Un captif amoureux, tentent de suivre le destin de deux peuples, l'un, celui des Noirs américains, à qui est refusée la dignité humaine, et l'autre, celui des Palestiniens, qui a été délogé, colonisé, humilié, destitué de toute identité politique ? »[22],[23].
Agnès Vannouvong n'accrédite pas davantage la thèse d'un Genet antisémite ou fasciné par le nazisme et dénonce entre autres la « lecture morale » d'Ivan Jablonka (Les vérités inavouables de Jean Genet) qui laisse entendre que « ses positions en faveur des opprimés cacheraient une partie de l'iceberg politiquement incorrect puisque Genet, rejetant un pays et une famille d'accueil qui l'a choyé, serait un antisémite fasciné par les crimes de la Milice, les camps nazis, l'homo-érotisme des soldats nazis et la figure toute-puissante du Führer »[24].
Éric Marty soutient que l’antisémitisme de Genet est lié à une angoisse du Bien et que Genet identifierait les Juifs et le Bien. Cela semble être une hypothèse très périlleuse qu'Albert Dichy se refuse à cautionner, comme de parler de métaphysique du Mal.
Sartre parle pourtant du « caïnisme » de Genet, de son identification à une lutte fratricide, il a consacré une partie entière du Saint Genet à la figure de Caïn, en qui il voit la clef de la morale de Genet : c'est une morale du trucage, du mensonge, du qui perd gagne, de l'inversion, ce que Genet nomme : la trahison. Erik et Querelle sont les personnages qui incarnent le mieux cet univers caïnique, ou satanique, de Genet. C’est que la réalité pour Genet est traversée de métaphysique, ou plutôt elle est double, et c’est pourquoi elle peut être dite poétique. En effet la réalité laisserait entrevoir le royaume de Satan toujours présent dans le monde, et Hitler incarnerait alors le Mal absolu, témoignant de la présence active de Satan dans le Monde. La littérature est alors pour Genet rédemptrice, puisqu’elle apporte un témoignage sur le Monde, ses affaires, sa conduite.
Il avait dit : « les juifs sont immondes », et cela signifiait pour lui « qu'ils ne sont pas de ce monde », il l’a précisé[25]. Les Juifs, pour Genet, derrière leur réalité apparente, laisseraient entrevoir un autre monde, où les forces du Bien et du Mal s’opposeraient. Ils seraient selon Genet, métaphysiquement, du côté du Bien : ils seraient ou se croiraient être les délégués du Bien parmi nous.